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Les mêmes bleus m’assaillent qu’à Hiroshima. L’orage darde ma fenêtre de rayons, boules de feu surgies jusque dans ma gorge. Il est plus facile de courir sous la pluie que de pleurer toutes les larmes de son corps, m’a-t-on dit; je suis d’accord mais figée dans la peur de l’éclair.

La peur de l’éclair de génie. La peur du commencement.

La bombe aujourd’hui, il y a 77 années-lumières. La bombe et ses milliers de fins et de commencements. (Si on peut parler de commencements dans ce cas, alors la peur est valable : la peur du renouveau hors des limites de la conscience – et de la confiance – humaine.)

Pourquoi ce soir, la sortie est-elle devenue si dure, si intransigeante? Pourquoi la pluie laisse-t-elle tomber des couteaux sur les pauvres coeurs des passants? Pourquoi les seules photos possibles sont-elles bleues, grises, noires?

J’ai à nouveau le coeur gros comme une Biosphère, et les fuites faciles. Mais quand l’histoire me rentre dedans en un coup de tonnerre, il n’y a pas de fuite possible; que des sentiments.

« I am not going to list buckets, since I am not planning on dying soon », lança-t-elle mi-fake mi-raison.

La syntaxe n’était pour elle qu’un artifice, et ses expressions idiomatiques devenaient idiosyncratiques… ou tout simplement idiotes. Elle aimait à aligner les mots de cette façon particulière qu’elle avait, à aligner les voyelles en les entrechoquant de coups de glotte aussi.

Elle n’était pas polyglotte : elle était polyvalente, voilà tout. Ou du moins le paraissait-elle; mais lorsqu’on scrutait son registre au cornet, qu’on plantait celui-ci bien creux dans ce foisonnement métallique qu’est l’oreille, on percevait un masque de cire, une étendue sirupeuse bouchant tous les trous. Et des trous, il y en avait : incapable de traduire quoi que ce soit d’une langue à l’autre, ni d’une oreille à l’autre d’ailleurs, elle avait créé deux partitions superposées où toujours un seul des instruments jouait.

En fait, toujours jouait l’instrument qui lui tombait dans les bras en premier, que ce soit le tuba des profondeurs de l’amour newyorkais ou la flute des politesses japonaises sans conséquence.

« I’m not stepping in and out of voice, I’m not stepping in and out of love. Voice and love are the ones stepping out of me. And only out. »

Elle laissait tomber ainsi, de temps en temps, une perle de sagesse dans le grand seau refroidissant le vin. Parfois, on aurait dit une dent cariée; d’autres fois, il s’agissait plutôt de son oeil brillant et brulant de larmes.

« When will I stop losing my body? », gémit-elle. « Everytime I let my own words out, it feels like I set free a part of me, and it never comes back. Soon I’ll have departed – »

Tôt ou tard les trous vinrent à apparaitre. Elle parlait mais s’arrêtait constamment, laissant toujours exactement l’espace nécessaire pour le mot qu’elle voulait prononcer mais ne trouvait pas. Ses paroles s’égrenaient sur la serviette posée sur ses genoux, roulaient puis tombaient une à une sous sa chaise, dans un fracas métallique. Bientôt la cadence de la perte augmenta, changeant le fracas en rythmes percussifs entrainants.

S’effaçant, elle avait trouvé sa nouvelle voix.

Et cela, grâce à celui qui l’avait entendue mais pas écoutée, et qui avait placé le grand seau sous sa chaise.

October

The wind still smells the same
and brings nothing
but all my memories in one shot
down the gust, down my guts.
Time is flying inside me
one shot, strong spirit
drawing back my stomach
from under the soils.
Another internal flight,
another domestic crawl.

January

The cold still feels the same
and brings home
a suitcase that’s heavier than me
starting now
snow will punch holes in me
will patch me with holy
sheets
shared from winters in.
Love organs:
another all-white horizon,
another night on the sofa.

October

If it hasn’t killed me leaving
will have worn out
my string of days, so fragile
of a hundred twenty five million hai‘s
before my eyes. What’s close
is not even able to make it
-self another place among them,
another pace among traps.

January

If it hasn’t awakened me coming home
will have called me again,
recalled the string of years, the knots, the ribbons
and balls behind the sofa.
Being back is leaving again
in the past, in the vast
nothingness that’s pretense of nostalgia
that my eyes sniff in those cities of yes‘s
and yet without finding
anything else than wanderlust,
anything else than punishment.

October

Deliberate, my exiles stick
a bar into my mouth
a nail into my foot
and my other, rusty.
Every cure will have to be
geographic, metallic.
There’s an earth spinning around me,
months pass but don’t stop.
Other red leaves straight in my teeths,
other dead words rummaging in.

January

Deliberate, my escapes smash
a shot of wine down my throat
waste this body that’s suffering
too much alcohol.
Strangled memories,
estranged futures.
« Paris is spitting on us », he said
with love in his eyes
and am I not also
just another nostalgia hunter,
just another raincloud stirrer?

*This poem has been published in its original French version in the magazine La Tribune juive. I am still working on this English translation, but because the theme of this week’s dVerse Poets Pub is exile, I thought I could share it with you.

Le Japon m’est rentré dans le ventre comme un coup de poing. Les yeux pleins d’eau, le corps plié dur, j’ai marmonné : « Ça y est, l’année s’annonce cinglante ».

Jusqu’à maintenant, on m’avait épargnée, croyant peut-être que mes papilles américaines ne seraient sensibles qu’aux subtils steaks hachés, oeufs et tranches de pain blanc. Résultat : je pensais que seuls les gens autour de moi avaient changé. Ah, et que les portions avaient rapetissé. Tout comme mon estomac, malmené par les changements de pression en et hors vols.

De toute façon, même si j’avais pu manger, tout me glissait des baguettes, tellement elles partaient dans tous les sens. Et des morceaux d’oeufs crevés, repris puis retombés – pas toujours à l’intérieur de l’assiette -, cela ne m’appétissait guère.

Mais voilà que mon assiette brillait de feux d’écailles et d’huiles de poissons : on me servait des sashimis, enfin! Si je plissais assez les yeux, je pouvais les voir se dandiner et lancer leurs éclats comme des avertissements.

« On ne regarde pas d’anime en mangeant! », ai-je mis dans la bouche de ma mère d’accueil, qui fermait la télé afin que nous ne soyons pas stimulés autrement que par le contenu de nos assiettes.

C’était en 2002. Ma digestion ne serait plus jamais le même.

Chaque morceau laissait une longue trace fraiche, de la langue jusqu’au fond de l’estomac, où il serait tombé en laissant entendre un « poc! » peu ragoutant s’il n’y avait pas eu la brulure.

Le poisson cru s’était introduit en moi pour me rappeler à la fois mes origines fluviales et mon exil insulaire; et à la dure, il m’avait donné le gout des choses délicates, desquelles je ne pourrais plus jamais me passer.

2011, l’année des migraines en crescendo et du corps en crise.

(En crisse? Aussi, sans doute.)

Je n’ai pas envie d’en faire un bilan. Pourquoi? Parce qu’il tiendrait dans deux lignes et quelque, que voici :

« Retour du Japon. Travail dès lors, dans mon domaine, avec superbes rencontres et fatigue infinie. Amours quand le temps le permet. »

L’an dernier, j’étais coincée au Japon pour célébrer dans un temple glacial. Je m’étais promis de célébrer seule l’année suivante, afin de répéter une expérience exquise que j’avais eue en 2010.

Cette fois, alors que j’avais oublié cette « résolution » – comme c’est la norme -, la force des choses m’a clouée au lit pour me la crier au visage. La migraine m’est passée sur le corps en entier – a rasé ma moitié de lit. Voilà le moindre son insupporté par mon système, surtout celui produit par une voix humaine plus aigüe que la mienne. Que celle qui joue dans ma tête, en tout cas.

Progressivement, tandis que le café et les Advil liqui-gel font effet, je me permets d’être contente de mon sort. Tout le monde parti fêter, j’ai la maison à moi même si je ne peux danser. N’est-ce pas ce que j’avais souhaité?

2011, retorse jusqu’au bout. Tu as fini par me donner ce que je voulais, mais en me faisant passer par les chemins bouetteux, de sorte que je peux même pas me plaindre.

2012, je te demande rien, comme ça j’aurai le droit de chialer.

Mais avant, je prends une petite année pour me reposer. Je pense que je le mérite bien.

(Comme vous tous, d’ailleurs, qui prenez le temps de lire mes états d’âme énigmatiques. Je vous souhaite pas ce que vous voulez en 2012; je vous souhaite rien. Comme moi, vous aurez sans doute quelque chose à la fin.)

La vie s’opère comme un tri. Les angles s’estompent; les gros morceaux immangeables restent dans le tamis, et les doux flocons m’aspergent. Encore faut-il que je les voie à travers la brume…

Il y a de ces jours comme aujourd’hui, des dimanches pour la plupart, où le recul se fait tout seul, parce que tout ce qui est dû n’est pas du travail, et que les cadres sont de nouveaux lieux.

Les vents m’ont repoussée à Montréal après l’écueil japonais. Mon retour fêtera son premier anniversaire en janvier; mon malêtre a déjà fêté le sien. Mais au lieu des larmes, c’est le rire, cristallin comme un verre de vin blanc, qui coule : depuis mon retour, que d’amitiés et de relations de travail riches.

Et des Japonais. Beaucoup de Japonais. Je les appelle secrètement « mes Japonais »; ils (en majorité elles) sont tous, sans exception, ces Japonais que j’aime, ceux qui ont une fibre d’érable au coeur, une passion de décrire la neige en français, un souffle de curiosité bon enfant qui tient chaud.

Qu’ils soient venus au Québec ou ailleurs m’importe peu; ce que j’aime, c’est qu’ils soient venus. Et qu’ils insufflent dans ce qu’ils font cet esprit communautaire qui les caractérise, tout en le faisant de manière inclusive.

Il est beau de voir tous ces couples canadonippons qui se complètent et se comprennent. Il est beau de voir des Japonais regarder mon recueil de poésie et de (pseudo)calligraphies, et montrer un intérêt authentique envers ce détournement d’art traditionnel. Il est beau de voir ces Japonais artistes qui plongent : Ken, qui dispose dans un mobile des grues et des boites pliées dans une toile aérienne ; Tatsuko, qui allie branches de sapin dorées et boules aux motifs de vagues japonaises sur des cartes de Noël.

Et les collègues aussi, et les étudiants. Surtout les collègues et les étudiants. Ce sont eux qui poussent et tirent la marée à l’école, et qui le font d’un grand rire franc.

Car après tout, les Japonais savent que les petits sourires, même accumulés, peuvent passer dans les trous du tamis. Et si le Japon est un gros morceau pour moi, mes Japonais de Montréal s’affairent à me le découper en petits morceaux tout à fait digestes.

Tonight I needed to start on a quote (Interpol, Memory Serves). Memory serves me, and I’ll wait to find if it serves you too.

I don’t know how my soul is served when I drench it back with the Sea of Japan, my own see of Japan, that is to say a cover. A crossover. A mix of filling music, and quenching readings. Quenching livings.

My stay was a whole lack of words.

Now I’m listening to its echo, glistening echo. And as I somehow feel it has come to a halt, I remember again, buckling up all these wineful tears. A bucketful of these.

Music serves me: It triggers a reaction in my soul, the same as I used to have. A reaction in my soul, the same as I used to. Have. An unused word.

A little more wine. A little more food. All the same, you fool. Me fool.

The bucket is not full to the rim yet. Try it on, cry a little faster, cry a little further, down to a place where there’s nowhere to stay.

How can a music crave its way so hard to my heart? How can I love so deep that a whole country in me shakes? How can sounds can move my body to a place it doesn’t belong to at all? How… can you love this shakiness in me?

How can I still be chasing my damage at the same tunes?

Maybe because it raised me.

Avec un titre pompeux comme celui-ci, vous vous doutez bien que je partirai sur une dérape lourde, voire spirituelle.

Détrompez-vous : je ne parlerai ici que de pommes. Pas de pépins, mais de chair juteuse à souhait, de visages souriant sur sur des photos, de répétitions voulues des automnes. Du constant retour de l’inconscience et du réveil. Du temps qui nous fracasse de pluie puis de soleil, de mitaines de laine puis de sourires maison, d’yeux collés dans toute la noirceur puis de rires décollant dans toutes les langues.

Parfois, le temps va à l’envers, cependant. Mais il revient toujours.

Le craquant de la pomme itou. En tout cas, à en croire le poids du sac sur mes épaules, il reviendra assez longtemps. Juste assez doucement pour moi, juste assez surement pour toi.

Un jour, dans un champ, j’ai laissé chanter l’automne à travers les gens. Aucune réflexion, que du reflet : tout le monde brillait par sa présence, formant une mosaïque d’éclaircies et d’éclats de fruits. Pas de mélancolie mal placée; les bêtes ne me l’auraient pas permis.

Qui aurait cru que tant de partages, de dégustations, de grignotage puissent m’alléger au lieu de m’enfoncer? Pas moi. Je n’avais vu que le premier degré des ficelles qui tirent les branches vers le bas, et non les pommes qui en tombent en mannes. Sur nos têtes trop lourdes, même. Une correction flagrante. Une chute pour ce texte.

Nous aurons même eu des prunes, et des bonnes poires, au cours de cette journée. L’automne m’a rappelé ses bienfaits, qui se déclinent certes en de nombreuses saveurs, mais qui me soufflent par-dessus tout au visage la certitude qu’il y en aura d’autres.

Et, au fond de l’air, je trouve un quelque chose du Japon de l’automne dernier, du Japon du départ et des désillusions. Mais surtout, je me plais à y sentir la vaste impression du Montréal du retour, et des pommes qu’on y croque sans gêne.

Je me sens un peu déconnectée du Japon depuis que je n’y suis plus. À moins que je ne l’aie jamais été. À moins que je n’y aie jamais été.

Mais le Japon m’habite, je n’y peux rien. Surtout quand je l’infuse en moi, l’ingurgite chaque jour. Et je le bois fort, mon Japon; « viril », comme diront certains. Mais je mélange tout : le thé qui colore mes veines n’est pas toujours vert. Et même lorsqu’il l’est, il n’est pas toujours japonais.

Parce qu’avec le Japon, la modération a souvent meilleur gout.

Je lisais ce matin – tout en engouffrant une base de thé vert non identifiée – un article sensé sur les femmes japonaises qui apprivoisent peu à peu la solitude – et sur le Japon qui apprivoise peu à peu la solitude des autres.

Au Japon, on n’est pas le seul à s’ostraciser lorsqu’on le fait : les autres en ajoutent une couche et peuvent nous garder la tête dans cette solitude dans laquelle on s’était – volontairement – plongé. Du moins, c’est ce que je sentais, mais je croyais que la cause de cette ouate de solitude était mon étrangeté.

Pas seulement ça. Mais mon individualisme me vient peut-être de ma culture d’étrang(èr)e, d’alién(ée).

Je devais prendre des pauses de Japon de temps en temps pour cuver. Mon thé à la bouche, j’observais, je m’oubliais tout en sachant que je prenais ainsi soin de moi. Que je prenais assez de recul pour être capable de boire seulement. Et de penser, parfois, dans les trous.

Je prends des pauses de Montréal, aussi, à tous les jours. Des pauses de vie, des poses de vide. Des pleins de thé et d’énergie. Des pleins d’inspiration et d’expiration. Je me suspens un peu.

Je surprends peut-être un peu, ce faisant. Tant pis : la surprise me rendra plus attachante, dans tous les sens.

Et si j’ai pu avoir une influence dans ce mouvement d’acceptation de la femme seule en public – et si heureuse de l’être! – au Japon, tant mieux. Quoique… on a le poids qu’on a.

Bons thés. Bons solos.

Le Japon est sur hold dans ma vie actuelle. Je le tiens artificiellement muet, et il ne peut qu’ouvrir et fermer sa bouche de poisson en signe de mécontentement.

Ce faisant, il laisse passer le thé, un des seuls luxes que je lui accorde dans mon quotidien bouillonnant.

Les retours du Japon ne se suivent pas mais se ressemblent : chaque fois, je nie qu’il a déjà existé, que j’y ai déjà existé. Je refuse son importance et je me redéfinis comme une femme la plus occidentale qui soit.

Je vis le Japon comme un échec. Je retranche ces mois à ma vie. Je creuse un trou pour l’enfuir, puis le manque s’empare de moi. Il est liquide, inconsistant, avec des particules en suspension; bref, une tasse d’amertume. La même que je rebois chaque matin, les yeux vitreux, oublieuse de ce que j’étais il n’y a que quelques mois. Oublieuse de ce que j’étais pendant la nuit.

Oublieuse de ce que les nouveaux départs représentent : des courants qui me frappent de plein fouet, des prises d’air que je voudrais plus fréquentes, des mots dont je ne peux nier la facilité.

Parlant de mots, la carpe ne se laisse pas aussi facilement taire. Elle flashe ses couleurs même dans les eaux les plus inhospitalières. La preuve – pas encore concrète, toutefois : je travaille vers la publication d’un recueil de poèmes… et de calligraphies. De mots japonais, donc. Ou, plus exactement, de mots aux frontières du français et du japonais. De mots de l’entre, de mots du centre de moi.

Toujours des mots de salon de thé, comme dans 57,5 [ajku]. Le Japon prend bien la place que je lui laisse.