« I am not going to list buckets, since I am not planning on dying soon », lança-t-elle mi-fake mi-raison.

La syntaxe n’était pour elle qu’un artifice, et ses expressions idiomatiques devenaient idiosyncratiques… ou tout simplement idiotes. Elle aimait à aligner les mots de cette façon particulière qu’elle avait, à aligner les voyelles en les entrechoquant de coups de glotte aussi.

Elle n’était pas polyglotte : elle était polyvalente, voilà tout. Ou du moins le paraissait-elle; mais lorsqu’on scrutait son registre au cornet, qu’on plantait celui-ci bien creux dans ce foisonnement métallique qu’est l’oreille, on percevait un masque de cire, une étendue sirupeuse bouchant tous les trous. Et des trous, il y en avait : incapable de traduire quoi que ce soit d’une langue à l’autre, ni d’une oreille à l’autre d’ailleurs, elle avait créé deux partitions superposées où toujours un seul des instruments jouait.

En fait, toujours jouait l’instrument qui lui tombait dans les bras en premier, que ce soit le tuba des profondeurs de l’amour newyorkais ou la flute des politesses japonaises sans conséquence.

« I’m not stepping in and out of voice, I’m not stepping in and out of love. Voice and love are the ones stepping out of me. And only out. »

Elle laissait tomber ainsi, de temps en temps, une perle de sagesse dans le grand seau refroidissant le vin. Parfois, on aurait dit une dent cariée; d’autres fois, il s’agissait plutôt de son oeil brillant et brulant de larmes.

« When will I stop losing my body? », gémit-elle. « Everytime I let my own words out, it feels like I set free a part of me, and it never comes back. Soon I’ll have departed – »

Tôt ou tard les trous vinrent à apparaitre. Elle parlait mais s’arrêtait constamment, laissant toujours exactement l’espace nécessaire pour le mot qu’elle voulait prononcer mais ne trouvait pas. Ses paroles s’égrenaient sur la serviette posée sur ses genoux, roulaient puis tombaient une à une sous sa chaise, dans un fracas métallique. Bientôt la cadence de la perte augmenta, changeant le fracas en rythmes percussifs entrainants.

S’effaçant, elle avait trouvé sa nouvelle voix.

Et cela, grâce à celui qui l’avait entendue mais pas écoutée, et qui avait placé le grand seau sous sa chaise.