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Ces retours de la joie, ces rafraîchissements à la mémoire des objets de sensation, voilà exactement ce que j’appelle raisons de vivre.
Francis Ponge, “Raisons de vivre heureux”, Proêmes

Emmagasiner des instants, s’emplir les bajoues de rosettes de crémage, les yeux dans le vide comme posés sur un voile présent. À partir des miettes vanille et de la crème choco se rebâtir un cupcake frais à l’intérieur, moment magique sous cloche, gout de rêve sous verre de contact avec la réalité.

Et là (Hélas?) l’imagination est une pouliche au visage moins humain avant, semble-t-il, plus chevalin, et l’arc-en-ciel sur son cul faisait moins Ed Hardy —

La vie sous zéro; la vie dans trente degrés. Le ventre est un fourneau qui fait gonfler et dorer tout ce que l’on y fourre. La langue gourde, les paupières lourdes, on engrange néanmoins, pour plus tard lorsque la vieillesse sera bonne et les jours veilleurs.

Vivre, longtemps après, pour l’odeur de plastique frais de sa collection d’effaces. Vivre, bien plus tard, pour le grincement du panneau à spiritueux où la pouliche principale discourait. Vivre, plus tard encore, pour les quatre spots de crémage brun laissés en hommage dans le fond de celle-qui-aurait-pu-être-ton-assiette, grand-maman. Vivre, trop tard j’imagine, pour la sensation d’exister dans un espace.

Là où on s’est senti exister un trop court instant, puis couler dans le verre du souvenir, déjà.

Ne jamais anesthésier la chaleur de son ventre, bruler par en-dedans et fabriquer des cupcakes passés, peut-être que les vagues de chaleur feront fondre le voile de glace sur les yeux, sur les croupes irisées des poneys, sur toutes les parties du corps gardées trop au frais – il fait seulement vingt degrés aujourd’hui, semble-t-il.

La synesthésie est embarquée dans le bus ce matin, avec Saint-John Perse, et on est partis faire un p’tit tour de jaune et vert sur Beaubien.
Il y avait toutes sortes d’arbres que je ne peux nommer ni encore moins décrire, les yeux plissés derrière mes lunettes en plastique pare-pollen. Tant pis, les poèmes feront la job, moi je ne connais que le monde de béton et de peinture déjà appliquée.
Ce soir je connaitrai celui des astres enchevêtrés. Peut-être deviendrai-je meilleure poète, ainsi bardée de vues téléscopiques et de vin. Peut-être pas. Mais j’ai le sentiment d’un vert sombre de forêt poignante, d’une ombre mouillée sur la pelouse dans laquelle je me trempe les pieds, d’une fontaine luisant sous un soleil lourd.
C’est ce que je me souhaite pour cette année. Ça, et un vent chaud qui sort d’une bouche de métro et qui me siffle un air de jazz. Toujours ce verre de vin.
On est maintenant dans les avenues, mon livre, ma folie des chiffres et moi – carrément « dans » puisque au-dessous du sol, au frais, bien à l’abri des dangereux collégiens en vacances. On se conserve bien ici : la poésie coule comme un miel jaune, les voeux s’envolent comme des grains de pollen neigeux. Il fait frais, il fait réconfortant.
Je ne sais pas où le bus nous a menés. Ce n’est pas le terminus, ici. Je suis encore dedans, et nous roulons dans les parcs bien arrosés. Dommage qu’il n’y ait plus de fleurs roses odorantes, me dis-je, un relent japonais en dedans de l’estomac.
Il y aura du beau, aujourd’hui; mon ventre le sent. Il y aura de la nature en ville, comme toujours. Il y aura d’autres natures, d’autres villes. Et au centre de tout ça, il y aura un livre mûr et moi, encore verte de ne pas savoir pourquoi.

*The contest is over… I used RANDOM.ORG to generate a random number… and the 2nd comment (chronologically) won! Bravo à Patrick Levesque, de http://legrosbonsens.net! Thank you so much to all of you for your participation!*

It’s National Poetry Month (chez nos voisins états-uniens), and I am taking part in Kelli Agodon’s Big Poetry Giveaway!

Ce mois d’avril, je sors (encore!) mon meilleur langage de vente – ou plutôt de don – et j’offre deux livres à une des personnes qui commentera cet article. Oui, deux livres : un des miens, soit Le Cahier mauve, et une de mes lectures récentes favorites en anglais, soit Pleiades, by Sui Solitaire.

I chose Sui’s book because of both its (her!) crude honesty and ability to show how fragile human beings and their relationships are. Sui plays with English sounds gracefully, in a way that I would like to be able to emulate. She is beautiful.

Quant au Cahier mauve… il s’agit de l’oeuvre d’un départ, d’un retour au Japon, lequel meuble les pages de ses mots noirs. Le design en a été assuré par l’épatante Cheval-Marcel, qui y a infusé sa douceur et sa touche féminine (dis-je en me disant que c’est comme si je disais que je n’étais pas féminine… bon). She is beautiful, we are both beautiful too.

Well, in other -English- words, one of you is going to get two (paper)books just by commenting this post. And by « comment », I mean I’d like you to answer this question:

What are two good poetry books that shook you to the core? Pouvez-vous me donner le titre et l’auteur de deux livres de poésie qui vous ont profondément ébranlé?

(Two books in two different languages if you can!)

Vous avez tout le mois pour (trouver, lire des recueils de poésie et) répondre! I will draw (randomly) one comment, and the person will be sent the two books. Don’t forget your name, and email or Twitter account.

Merci et bonnes lectures!

PSsss If you are a blogger-poet too and would like to give away poetry as well, here is how to participate (on Book of Kells, Kelli Agodon’s blog).

« Les si n’existent pas. » « Mais si, ils existent! » « Mais non, on dit ‘Mais oui’, ici. »

Avec des si, on va à Paris, c’est connu. Les Parisiens ne peuvent venir au Québec qu’à coups de oui, toutefois.

Justement, et si si et oui étaient des équivalents parfaits?

Prenons le si qui n’aime pas les -rais, celui-là même que je dessine à la craie chaque fois que je veux faire pouffer mes étudiants. Et si celui-là aussi n’était qu’un appel à la vie qui bat?

À la vie qui se débat…

Avec des si, on va à Paris, oui; en fait, on va n’importe où. (On ira pour vrai, du coup, ayant déjà posé ce mot assez souvent pour pouvoir traverser à gué.) Le si a son pouvoir musical, presque, ce pouvoir de rendre une folie possible l’instant d’une syllabe… Prononcé avec les yeux pétillants du oui, il donne envie de se lancer dans l’espoir à pleines dents.

Même le si du regret a son pouvoir imaginatif : du beau matériel à histoires et à leçons, qu’on y retrouve. Mais si j’arrêtais de regretter, tout simplement… Mais si cela m’empêchait de puiser dans ma douleur passée la lumière glauque qui donne l’élan d’écrire?

Et qui donne l’élan de communiquer…

En primeur, je vous lance mes si les plus fous. On se gâte.

– Si je me lançais dans l’écriture sans retenue, avec confiance en mon talent? Si j’allais montrer mon travail à plus de gens?

– Si j’écrivais plus, tout simplement?

– Si je consacrais un peu de temps chaque jour à un projet d’écriture qui me tient à coeur?

– Si j’organisais une lecture de poésie?

– Si j’arrêtais de voir ma situation financière comme un obstacle, et que je comptais mon argent positivement au lieu de négativement?

– Si j’avais confiance que l’argent viendra en quantité suffisante?

– Si je donnais à plus de gens le gout d’écrire et d’apprendre une langue?

– Réciproquement, si j’ouvrais plus mon coeur et que je me laissais toucher/emporter par les histoires des autres?

– Si j’acceptais mon corps, mon esprit, mon âme comme ils sont?

– Si j’acceptais mes erreurs et que je m’en excusais?

– Si j’aimais librement sans avoir peur de perdre l’autre?

Bref, si j’osais…

Le premier pas est fait. Le vide est là, devant moi. Mais si, au lieu de tomber dedans, je me mettais à sauter d’un nuage à l’autre?

Je flotterais, sans doute. Un peu comme maintenant.

J’essaie de pleurer, mais ce n’est pas encore le temps de le faire. Les larmes viendront forcément connecter tous ces points de souvenirs et les rassembler en un tout, en une peine retrouvée.

Pour l’instant, je n’ai au coeur que la Noël où spontanément, nos coeurs s’étaient trouvés, et où nous avons fait à l’autre un cadeau – pourquoi moi? pourquoi toi? Je n’ai jamais compris comment les pensées voyagent si bien à l’intérieur d’un réseau de quarante personnes.

Je m’étais rappelé l’anecdote que toute jeune, tu m’avais racontée et que j’avais fidèlement retranscrite pour un obscur cours – peut-être s’intitulait-il « Mémoires de nos grands-parents ». Tu m’avais expliqué ta peur de l’eau – en riant aux larmes, étrangement -, ramenant à la vie d’enfant ta soeur et ce mautadit garçon qui vous avait convaincues de monter dans sa chaloupe pour mieux vous faire peur ensuite en secouant l’embarcation. Je vous imaginais toutes deux en noir et blanc, dans des robes à crinoline tout à fait inappropriées pour la campagne, vous étreignant très fort, la bouche figée ouverte. Et le rictus de ce jeune garçon à la casquette…

Pourtant, tu riais. Comme tu étais naïve… mais cela t’avait tout de même marquée. Et tu le savais. Et tu l’acceptais, n’ayant plus été à l’eau par la suite.

J’avais recopié tout cela de mon mieux afin de te l’offrir en cadeau. Tes propres mots dits en texte, grand-maman. Pas brodés, comme toi seule savait le faire (non, maman pouvait broder son nom, aussi), mais tout de même dignes d’être sur ton mur.

Tu as ri quand tu as ouvert le cadeau. Bien sûr.

Et moi aussi, j’ai ri, quand j’ai ouvert le mien : tu avais terminé de coudre les boxeurs rose avec de gros chiens blancs que j’avais commencés chez toi, sur la machine à coudre que nous n’avions pas à la maison, avec tes précieux conseils. (J’avais tout de même passé mon cours d’économie familiale malgré le peu de coutures effectuées, on ne sait comment.)

Grâce à toi, j’avais les plus laids boxeurs du monde, mais ce n’est pas de ta faute : c’est la coupe qui était ainsi faite.

Par je ne sais quel bonheur, nous nous étions souvenu l’une et l’autre des moments passés entre nous.

Nous nous sommes souvenu des rires. Et nous nous en souviendrons, ne t’inquiète pas.

La dernière fois que je t’ai vue, tu riais encore. D’une couche qui trainait sur le bord de la fenêtre, puis du fait de revoir un neveu pas vu depuis longtemps. Tu l’as reconnu, et ça m’a fait chaud au coeur.

Même si j’ai les larmes aux yeux, j’ai envie de rire. Merci, grand-maman.

Avec un titre pompeux comme celui-ci, vous vous doutez bien que je partirai sur une dérape lourde, voire spirituelle.

Détrompez-vous : je ne parlerai ici que de pommes. Pas de pépins, mais de chair juteuse à souhait, de visages souriant sur sur des photos, de répétitions voulues des automnes. Du constant retour de l’inconscience et du réveil. Du temps qui nous fracasse de pluie puis de soleil, de mitaines de laine puis de sourires maison, d’yeux collés dans toute la noirceur puis de rires décollant dans toutes les langues.

Parfois, le temps va à l’envers, cependant. Mais il revient toujours.

Le craquant de la pomme itou. En tout cas, à en croire le poids du sac sur mes épaules, il reviendra assez longtemps. Juste assez doucement pour moi, juste assez surement pour toi.

Un jour, dans un champ, j’ai laissé chanter l’automne à travers les gens. Aucune réflexion, que du reflet : tout le monde brillait par sa présence, formant une mosaïque d’éclaircies et d’éclats de fruits. Pas de mélancolie mal placée; les bêtes ne me l’auraient pas permis.

Qui aurait cru que tant de partages, de dégustations, de grignotage puissent m’alléger au lieu de m’enfoncer? Pas moi. Je n’avais vu que le premier degré des ficelles qui tirent les branches vers le bas, et non les pommes qui en tombent en mannes. Sur nos têtes trop lourdes, même. Une correction flagrante. Une chute pour ce texte.

Nous aurons même eu des prunes, et des bonnes poires, au cours de cette journée. L’automne m’a rappelé ses bienfaits, qui se déclinent certes en de nombreuses saveurs, mais qui me soufflent par-dessus tout au visage la certitude qu’il y en aura d’autres.

Et, au fond de l’air, je trouve un quelque chose du Japon de l’automne dernier, du Japon du départ et des désillusions. Mais surtout, je me plais à y sentir la vaste impression du Montréal du retour, et des pommes qu’on y croque sans gêne.

Vous connaissez cette joie de lire des mots qui sonnent, résonnent, donnent un sens à votre pensée? Cette joie de lire trop et de tomber, sous le soleil tel un projecteur, sur votre coeur dessiné à coups de mots?

Cette joie d’écrire trop, aussi. Mais ce n’est pas tous les jours qu’on trouve une justification à son blogue. (Pourquoi cette manie de toujours chercher à justifier, d’ailleurs? Ce blogue existe donc il est, voilà tout. Comme moi, même combat.)

Alors voilà cette perle. Attention, c’est en anglais, comme si j’avais besoin de vous avertir.

« Happiness is much more difficult to write about than sorrow, just as the longing for love is easier to describe than its fulfillment. Still, I suspect that many writers secretly wish they could write from a deep well of happiness at least once just to know how it feels. (…) But the reality is when a writer’s happy, the last thing she wants to do is dissect the ephemeral; she wants to exult in her euphoria, not explain the miracle. » (Sarah Ban Breathnach, Moving On, p. 262)

J’ai déjà écrit de la beauté, de l’amour en barre. Mais l’ironie en moi craint de me fondre dans la guimauve si j’y reste enfoncée. Elle m’accroche donc par le mordant à quelque chose de croquant, dur, solide : la mélancolie des montagnes dépaysées, la peur du roc noir sans tain, le sarcasme de la chute acérée.

Mais bon, y a pourtant des jours où la vie just gives you smores. When your legs burn in the sun, and tea picks you (and your delight) up. Quand de petites touches d’espoir et d’expectatives se profilent dans le pétillant du bouillon. Quand même les plans qui se retracent au gré de la journée n’apportent que ravissement.

Je pourrais élaborer une liste de gratitudes sous forme de métaphores pendant des heures – et vous ne vous rendriez même pas compte que je parle toujours de la même chose étant donné mon langage évaseux. Mais à elle seule, la trouvaille de ces mots familiers vaut bien une journée – et, qui sait, quelques minutes de votre temps. Comme Céline le chantait, je suis avare de mots, je veux qu’on m’en écrive pour ma musique. Des fois. Quand j’en écris pas.

Il y a de ces journées où je suis. Et il y aura de ces articles, aussi.