Le Japon m’est rentré dans le ventre comme un coup de poing. Les yeux pleins d’eau, le corps plié dur, j’ai marmonné : « Ça y est, l’année s’annonce cinglante ».

Jusqu’à maintenant, on m’avait épargnée, croyant peut-être que mes papilles américaines ne seraient sensibles qu’aux subtils steaks hachés, oeufs et tranches de pain blanc. Résultat : je pensais que seuls les gens autour de moi avaient changé. Ah, et que les portions avaient rapetissé. Tout comme mon estomac, malmené par les changements de pression en et hors vols.

De toute façon, même si j’avais pu manger, tout me glissait des baguettes, tellement elles partaient dans tous les sens. Et des morceaux d’oeufs crevés, repris puis retombés – pas toujours à l’intérieur de l’assiette -, cela ne m’appétissait guère.

Mais voilà que mon assiette brillait de feux d’écailles et d’huiles de poissons : on me servait des sashimis, enfin! Si je plissais assez les yeux, je pouvais les voir se dandiner et lancer leurs éclats comme des avertissements.

« On ne regarde pas d’anime en mangeant! », ai-je mis dans la bouche de ma mère d’accueil, qui fermait la télé afin que nous ne soyons pas stimulés autrement que par le contenu de nos assiettes.

C’était en 2002. Ma digestion ne serait plus jamais le même.

Chaque morceau laissait une longue trace fraiche, de la langue jusqu’au fond de l’estomac, où il serait tombé en laissant entendre un « poc! » peu ragoutant s’il n’y avait pas eu la brulure.

Le poisson cru s’était introduit en moi pour me rappeler à la fois mes origines fluviales et mon exil insulaire; et à la dure, il m’avait donné le gout des choses délicates, desquelles je ne pourrais plus jamais me passer.