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« I am not going to list buckets, since I am not planning on dying soon », lança-t-elle mi-fake mi-raison.

La syntaxe n’était pour elle qu’un artifice, et ses expressions idiomatiques devenaient idiosyncratiques… ou tout simplement idiotes. Elle aimait à aligner les mots de cette façon particulière qu’elle avait, à aligner les voyelles en les entrechoquant de coups de glotte aussi.

Elle n’était pas polyglotte : elle était polyvalente, voilà tout. Ou du moins le paraissait-elle; mais lorsqu’on scrutait son registre au cornet, qu’on plantait celui-ci bien creux dans ce foisonnement métallique qu’est l’oreille, on percevait un masque de cire, une étendue sirupeuse bouchant tous les trous. Et des trous, il y en avait : incapable de traduire quoi que ce soit d’une langue à l’autre, ni d’une oreille à l’autre d’ailleurs, elle avait créé deux partitions superposées où toujours un seul des instruments jouait.

En fait, toujours jouait l’instrument qui lui tombait dans les bras en premier, que ce soit le tuba des profondeurs de l’amour newyorkais ou la flute des politesses japonaises sans conséquence.

« I’m not stepping in and out of voice, I’m not stepping in and out of love. Voice and love are the ones stepping out of me. And only out. »

Elle laissait tomber ainsi, de temps en temps, une perle de sagesse dans le grand seau refroidissant le vin. Parfois, on aurait dit une dent cariée; d’autres fois, il s’agissait plutôt de son oeil brillant et brulant de larmes.

« When will I stop losing my body? », gémit-elle. « Everytime I let my own words out, it feels like I set free a part of me, and it never comes back. Soon I’ll have departed – »

Tôt ou tard les trous vinrent à apparaitre. Elle parlait mais s’arrêtait constamment, laissant toujours exactement l’espace nécessaire pour le mot qu’elle voulait prononcer mais ne trouvait pas. Ses paroles s’égrenaient sur la serviette posée sur ses genoux, roulaient puis tombaient une à une sous sa chaise, dans un fracas métallique. Bientôt la cadence de la perte augmenta, changeant le fracas en rythmes percussifs entrainants.

S’effaçant, elle avait trouvé sa nouvelle voix.

Et cela, grâce à celui qui l’avait entendue mais pas écoutée, et qui avait placé le grand seau sous sa chaise.

« Les si n’existent pas. » « Mais si, ils existent! » « Mais non, on dit ‘Mais oui’, ici. »

Avec des si, on va à Paris, c’est connu. Les Parisiens ne peuvent venir au Québec qu’à coups de oui, toutefois.

Justement, et si si et oui étaient des équivalents parfaits?

Prenons le si qui n’aime pas les -rais, celui-là même que je dessine à la craie chaque fois que je veux faire pouffer mes étudiants. Et si celui-là aussi n’était qu’un appel à la vie qui bat?

À la vie qui se débat…

Avec des si, on va à Paris, oui; en fait, on va n’importe où. (On ira pour vrai, du coup, ayant déjà posé ce mot assez souvent pour pouvoir traverser à gué.) Le si a son pouvoir musical, presque, ce pouvoir de rendre une folie possible l’instant d’une syllabe… Prononcé avec les yeux pétillants du oui, il donne envie de se lancer dans l’espoir à pleines dents.

Même le si du regret a son pouvoir imaginatif : du beau matériel à histoires et à leçons, qu’on y retrouve. Mais si j’arrêtais de regretter, tout simplement… Mais si cela m’empêchait de puiser dans ma douleur passée la lumière glauque qui donne l’élan d’écrire?

Et qui donne l’élan de communiquer…

En primeur, je vous lance mes si les plus fous. On se gâte.

– Si je me lançais dans l’écriture sans retenue, avec confiance en mon talent? Si j’allais montrer mon travail à plus de gens?

– Si j’écrivais plus, tout simplement?

– Si je consacrais un peu de temps chaque jour à un projet d’écriture qui me tient à coeur?

– Si j’organisais une lecture de poésie?

– Si j’arrêtais de voir ma situation financière comme un obstacle, et que je comptais mon argent positivement au lieu de négativement?

– Si j’avais confiance que l’argent viendra en quantité suffisante?

– Si je donnais à plus de gens le gout d’écrire et d’apprendre une langue?

– Réciproquement, si j’ouvrais plus mon coeur et que je me laissais toucher/emporter par les histoires des autres?

– Si j’acceptais mon corps, mon esprit, mon âme comme ils sont?

– Si j’acceptais mes erreurs et que je m’en excusais?

– Si j’aimais librement sans avoir peur de perdre l’autre?

Bref, si j’osais…

Le premier pas est fait. Le vide est là, devant moi. Mais si, au lieu de tomber dedans, je me mettais à sauter d’un nuage à l’autre?

Je flotterais, sans doute. Un peu comme maintenant.