Archives mensuelles de décembre, 2010

Me voilà de retour à Osaka pour les Fêtes.

Quoi de mieux comme intermédiaire entre la nouvelle Hiroshima et le Montréal déjà si vécu ?

Je me retrouve assise à la même place au comptoir de mon bom vieux Starbucks, compagnon jazzé et capitonné de mes jours silencieux. Et la muscade sur le lait moussé, c’est que j’ai également renoué avec ce bon vieux cappucino, pelleté à la cuiller tout en regardant passer les Japonais sous des arcades illuminées. Ici, c’est encore Noël.

Je venais ici pour fuir dans ma tête tout en m’entourant de gens inoffensifs et, en un sens, protecteurs. Un nuage d’anglais et d’odeur de café.

Les refuges, on sait toujours les retrouver, peu importe le temps qui s’est écoulé depuis sa dernière cachette.

La tête me tourne. Je suis en plein coeur du Japon. Je suis en plein coeur de l’Amérique. Je suis en plein coeur de moi. Encore.

Sérieux, on s’y croirait, dans l’hémisphère Sud. Une promenade de temple en temple dans les montagnes sous le soleil brûlant, et me voilà bien hâlée. Transportée. Puis, finalement, à bon port.

(Je sais que ça ne fait pas très sérieux de commencer un article par « Sérieux… » Les probabilités que le mot suivant soit « man » sont élevées. Mais ne vous inquiétez pas, je ne suis pas rendue là.)

Avant-veille de Noël 2010 au Japon : 15 degrés sous le soleil ; une visite de 25 temples bouddhistes et du musée des manekineko (les chats avec une patte levée, parfois mouvante, si accueillants à l’entrée des commerces asiatiques désireux de faire de l’argent) ; un matcha dans un jardin avec vue sur un tas d’îles menant à Shikoku ; un déambulage sur le catwalk en pierre capté par un appareil photo vieux de 80 ans ; une erreur de train qui m’amène trop tard dans une gare obscure ; un souper de pains moches (boulangerie chaude mon oeil) et de biscuits inespérés ; un jazzband comme une île dans une mer de chandelles ; une révélation.

Oui oui, j’ai bien dit une révélation. J’ai compris ce qui m’anime, ce qui fait ma particularité, ce qui pourrait être mon deuxième nom si la loi le permettait : Détails. Avec un D majuscule. Hé oui, je suis une analytique pur-sang. Mes journées ne sont qu’une accumulation de courts moments, de prises de conscience soudaines, de tweets isolés, de trouvailles improbables, de tasses de plaisir. Pour moi, faire une synthèse ou un résumé est difficile ; je commence immanquablement par vous donner un ou deux détails que j’ai glanés et qui, pour moi du moins, suffisent à rendre toute l’importance de l’oeuvre à résumer.

Cette révélation m’est venue alors que je prenais une photo d’un chat. En fait, je cadrais le chat dans le coin, et ce seul chat méritait une photo à lui seul. Les temples, non. À moins qu’ils mettent en scène des statues de boddhisatvas portant bonnet et bavette, ou encore des poignées de petits daruma ronds aux expressions faciales étonnamment abouddhiques.

Cette révélation s’étire, reste dans mon esprit sous la forme d’un rayon de chaleur qui s’éternise depuis le midi. Elle me fournit le fil conducteur de mon écriture.

Une image s’impose à moi alors que je vais regagner ma chambre surchauffée : une rangée de hinomaru, de grosses balles rouges sur un mince fond blanc, qui mettent leur chaleur de côté pour sombrer doucement dans la mer.

Pourquoi je mets un point après mes titres ? Pour faire plus vrai. Plus authentiquement détonnant. Plus directement tombant. C’est tout.

Mais bon, veuillez pardonnez cette digression – si on peut parler de digression alors que le texte n’est même pas commencé. En tout cas, le Japon m’aime, il me l’a prouvé aujourd’hui. Je suis tentée de faire ma plate et de vous faire une bête liste de ce que j’ai fait aujourd’hui qui me fait dire ça, comme je ferais dans mon journal si j’avais un journal. Mais je vais vous épargner cela en vous disant simplement que l’aubergiste m’aime bien, que j’ai trouvé (et acheté, évidemment, puisque je suis pauvre) le bol à matcha et la tasse de mes rêves, que j’ai dégusté un matcha servi dans un pavillon de thé par une sensei en kimono, et que je suis arrivée au musée exactement au moment où une expo des prix de poterie contemporaine commençait.

(L’art de mettre une liste sous forme de phrase pour pas que ça paraisse.)

Je suis bénie. Alléloûiah.

Hagi, tu m’auras réconcilié avec le Japon. Merci de m’avoir rappelé que c’est pas grave de ne pas être fan d’anime, et qu’il y a encore des Japonais pour qui le matcha est un drink qui se boit chaud.

Ça y est, je pleure presque. J’ai pus de bière.

En bonne chercheuse (hum hum), je pars en quête du chawan manquant. Celui qui manque dans ma valise, celui que mes lèvres veulent toucher. (Non, il ne s’agit pas d’un chaînon en métal; si vous vous inquiétez pour ma santé mentale et buccale, c’est que vous avez mal compris.)

Destination Hagi, ville de poterie et de vieilleries, préfecture de Yamaguchi. Direction ryokan avec un aubergiste bête qui me trouve déjà conne, sinon en tant que Japonais il n’aurait pas le droit de m’envoyer des courriels aussi bruts. Mais bon, comme d’hab, on sourira et on pensera au prochain matcha. Dans mon prochain chawan !

On espère fort qu’il y aura un yukata de fourni, et qu’on pourra tinquer du thé vert en poche en écoutant une émission d’humour absurde sous-titrée à minuit, assise en indien (sacrilège !) sur un coussin posé par terre. Et qu’on gèlera des doigts, comne hier nuit à bicyclette, question de rapporter quelques engelures en souvenir.

Ouah, ça va être un voyage épatant, je le sens. (Pourquoi ai-je toujours cette vague impression que tout ce que j’écris est teinté d’ironie ?)

Bon, mon but était de faire une métaphore filée sur le chawan manquant… Faute de connaissances en anthropologie et en évolution tout court, je l’ai pas fait. Pardonnez ce trou dans mon texte; je tenterai de le remplir (de thé ?) et de raccorder tout ça bientôt.

Ce faisant, je vais aller continuer à m’éparpiller. Je suis bonne là-dedans.

Je tape cet article sur le clavier de mon iPhone. Ouf, plus que plusieurs phrases encore.

Lentement mais sûrement, j’y arriverai. Lentement mais sûrement, j’arriverai à partir.

Je me pratique en m’échappant de temps en temps. Pas vraiment nécessaire, en fait, puisque c’est facile pour moi de partir. C’est dans ma nature : je suis une partante. Une trotteuse. Une eau qui fuit.

Cette fois-ci, je partirai, mais pour mieux apprendre à rester quelque part. À ne pas m’inventer d’excuses pour ne pas me sentir chez moi. « De toute façon, c’est temporaire. » À accepter d’être bien, et qu’il ne manque rien.

Pour l’instant, il ne manque rien en fait, surtout pas du temps. La pluie l’allonge à longs traits blancs. Et elle me cloue dans la vase.

– Qu’est-ce qu’on fait, veux-tu boire un autre thé ?
– Ouais. Tu le sais, je dis jamais non.

Sauf maintenant. Je dis le plus gros NON de ma vie, et j’en suis fière. Je l’ai taggé sur mes murs, peint sur mes vêtements, inséré dans toutes mes phrases. Pour une fois, je ne l’ai pas murmuré, le dos tourné, un pied déjà sorti de la pièce.

– Et non, j’ai pas fini.
– T’as pas fini quoi ?
– Mon thé. Mes valises. Ma vie.

Voilà, je suis de retour de « l’endroit utile ». Non, ce n’est pas Montréal, ce sont les toilettes, en japonais. Mais si ça peut vous intéresser, je suis également de retour de Montréal.

J’y ai fait le plein de neige et de froid, question de geler mon esprit. En fait, on y voit plus clair, après la tempête de neige. Et le Japon apparaît tel qu’il est vraiment : un pays pas si triste que ça. Ou plutôt, un pays à la façade enjouée, qui cache des gens tristes. Comme moi… avant que je choisisse de ne pas m’y fondre. Je préfère la neige.

Et le vin. Parce qu’une dégustation impromptue de Beaujolais nouveau avec des profs français et des étudiants francophiles, c’est neuf, rafraîchissant. Et ça confirme en même temps mon envie d’être ailleurs. Qui veut d’une chaire de recherche en littérature française dans une université au fond des bois ? Des gens extraordinaires. Pas moi.

En attendant, je fuis. Il y a plein d’endroits qui m’attendent, pour quelques jours. Plein de matchas à boire, plein de céramique à toucher du regard, plein de gens à revoir avec du lustre sur les yeux. Pleins de Japons à revivre. Lentement.