1986, chirurgie cardiaque

Je n’avais pas un an lors de ma première fois. Quand on n’a pas beaucoup connaissance de sa vie, qu’on n’est pas encore dans l’accumulation consciente de souvenirs pour nous bâtir une identité et une compréhension du monde, l’anesthésie générale a-t-elle l’effet de nous plonger dans l’éveil plutôt que dans le sommeil? La réponse est non.

2000, appendicectomie

La chirurgienne, venue me voir au matin, me demande si je sais ce qu’elle m’a fait comme procédure (question rhétorique s’il en est une, croit-elle), puis s’étonne de ce que je lui répète son constat établi en pleine opération. Saisir le détail pertinent, c’est là le talent d’écrivaine que je développais déjà dans les brumes de mes 16 ans.

2003, hymenectomie

Salle de réveil, je reviens à moi en plein dans une conversation entre infirmières. Mes premières paroles : « Si vous vous cherchez une gardienne, moi j’en garde, des enfants ». Il ne faut pas nous fier aux apparences : même les gens qui ont l’air à moitié mort peuvent nous être utiles. 

(Ou : Plus qu’un baiser du prince charmant, le besoin d’argent peut motiver à nous relever.)

2004, réparation du ligament croisé antérieur

L’anesthésiste m’injecte un produit, qui se met à me faire mal. Je lui dis mollement : « Est-ce que c’est normal que ça chauffe vraiment? » Elle me répond que non… Ma dernière vision, c’est son visage effrayé en gros plan. Je ne me souhaite pas de mourir comme ça, avec la peur d’une inconnue penchée sur moi.

(2015, gaz anesthésiant pour replacer l’épaule au bon endroit

Je raconte ma douleur à mon copain devant moi, déguise toutes mes hypocondries en questions à demi assumées au personnel de nuit. Je commence une phrase, je finis une phrase; au milieu il me semble que ça fait moins mal… Tiens donc, mon bras est de retour dans ses gonds. Ce qu’on peut en faire des choses dans de si courts intervalles, surtout de nuit.)

2016, remplacement de la valve mitrale

Presque neuf heures d’opération, plus de vingt-quatre heures de blackout, deux seuls souvenirs des soins intensifs : 1. Tout est sombre, avec devant moi une petite fenêtre qui se découpe jaune; ça doit être ça, la morgue. 2. Mon copain m’apporte mon toutou préféré, le cockatiel; je le repousse parce qu’il n’est pas désinfecté. 

Comme quoi l’anesthésie efface beaucoup mais pas nos peurs, qu’on garde bien serrées contre nous dans le noir.