Archives mensuelles de octobre, 2016

en a vu d’autres
le regarder. Ainsi

une pleine tablée l’a vu, mon cœur,
et ne l’a pas jeté pour autant.
Il doit être quelqu’un de bien,
quelqu’un qu’on ne laisse pas
chanceler dans la pente
d’un dossier de lit. Non : on le saisit
à pleins gants, on y laisse sa trace
inorganique, morsure importée
qui en fait une façade
de musée rutilant au soleil
où personne n’a besoin d’entrer.

Il veut bruler
des étapes, mon cœur :
il a connu l’errance cyclique
des traversées sans pont
portages longue durée
et passages quotidiens de perles splendides*
découpées à l’ongle bienveillant. Mais
mon cœur bat la mesure qu’il choisit,
où chaque minute en vaut une
et demie. Aussi la pluie cessera
avant dimanche les cheveux et les ongles
repousseront la nuque
retrouvera son angle
fier –
bruni.

Dans la douche le bruit ne peut
me confirmer que j’ai un cœur attelage
de fusée. Il existe une ligne de colle blanc-rouge
entre la douleur vécue sur terre et
l’atmosphère qui lui donne un rythme,
divin comme on dirait exquis.
Mon travail est de laver la frontière, d’y poser
roses calendules amaranthes
comme entre les pages des livres
qu’on préfère ouvrir
couchée sur le dos, à des kilomètres
heures de ceux qui nous piquent
la nuit.

* Expression traduite du poème « Lullaby » d’Anne Sexton, dans To Bedlam and Part Way Back (1960) : « My sleeping pill is white. / It is a splendid pearl; […] ».

1986, chirurgie cardiaque

Je n’avais pas un an lors de ma première fois. Quand on n’a pas beaucoup connaissance de sa vie, qu’on n’est pas encore dans l’accumulation consciente de souvenirs pour nous bâtir une identité et une compréhension du monde, l’anesthésie générale a-t-elle l’effet de nous plonger dans l’éveil plutôt que dans le sommeil? La réponse est non.

2000, appendicectomie

La chirurgienne, venue me voir au matin, me demande si je sais ce qu’elle m’a fait comme procédure (question rhétorique s’il en est une, croit-elle), puis s’étonne de ce que je lui répète son constat établi en pleine opération. Saisir le détail pertinent, c’est là le talent d’écrivaine que je développais déjà dans les brumes de mes 16 ans.

2003, hymenectomie

Salle de réveil, je reviens à moi en plein dans une conversation entre infirmières. Mes premières paroles : « Si vous vous cherchez une gardienne, moi j’en garde, des enfants ». Il ne faut pas nous fier aux apparences : même les gens qui ont l’air à moitié mort peuvent nous être utiles. 

(Ou : Plus qu’un baiser du prince charmant, le besoin d’argent peut motiver à nous relever.)

2004, réparation du ligament croisé antérieur

L’anesthésiste m’injecte un produit, qui se met à me faire mal. Je lui dis mollement : « Est-ce que c’est normal que ça chauffe vraiment? » Elle me répond que non… Ma dernière vision, c’est son visage effrayé en gros plan. Je ne me souhaite pas de mourir comme ça, avec la peur d’une inconnue penchée sur moi.

(2015, gaz anesthésiant pour replacer l’épaule au bon endroit

Je raconte ma douleur à mon copain devant moi, déguise toutes mes hypocondries en questions à demi assumées au personnel de nuit. Je commence une phrase, je finis une phrase; au milieu il me semble que ça fait moins mal… Tiens donc, mon bras est de retour dans ses gonds. Ce qu’on peut en faire des choses dans de si courts intervalles, surtout de nuit.)

2016, remplacement de la valve mitrale

Presque neuf heures d’opération, plus de vingt-quatre heures de blackout, deux seuls souvenirs des soins intensifs : 1. Tout est sombre, avec devant moi une petite fenêtre qui se découpe jaune; ça doit être ça, la morgue. 2. Mon copain m’apporte mon toutou préféré, le cockatiel; je le repousse parce qu’il n’est pas désinfecté. 

Comme quoi l’anesthésie efface beaucoup mais pas nos peurs, qu’on garde bien serrées contre nous dans le noir.