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*** Texte lu à la soirée Poésie et autres paroles du Off Festival de Poésie de Trois-Rivières le 3 octobre 2015. Les citations proviennent du collectif Femmes de Srebrenica dirigé par Ajrulovski (2000), sauf celle en anglais, qui correspond à un graffiti fait par les soldats de l’ONU pendant leur mission en Bosnie et vu à la Srebrenica Exhibition de Sarajevo. TRIGGER WARNING : ultraviolence, horreurs de la guerre ***

 
 

Personne ne vous fera aucun mal! Ratko Mladić, lames aux yeux

Četniks d’ardoise nue, femmes serbes

aux mains de pierres et d’envies de tuer

vos enfants, soldats du FORPRONU à la bouche, sales musulmanes

pas baisables : I’m your best friend I’ll kill

you anytime.

 
 

Comme fumer violer tuera trois fois

dans les mêmes mots – uniformes

FORPRONU en sang. Vos hommes

l’échine courbe, la colonne mille,

vous mère-fille entre deux rangées de Četniks, yeux noirs de monde,

personne ne vous fera aucun mal.

 
 

Mais vous servez : ces hommes sans doigts dans le fossé,

ces vaches à traire,

égorgées – autre dégel acceptable.

 
 

En pareilles circonstances, tout ce qui est anormal devient normal :

les hommes hurlent, vous rêvez d’armes ou

de pierre, les enfants sautent des arbres directement

le cou sur le fil de fer des Četniks.

Mais votre encaissement reste – inventer

une raison au fait que vous n’avez pas ramené d’eau, il y avait la file

 
 

au lieu de trois camions pleins de cadavres, et sur les tas

s’abreuvaient des Četniks, ou de sept morts aux ventres pastèques

tailladés entravaient la route; un mensonge blanc sur rouge

ne fera aucun mal.

 
 

Un camion vers le camp de Tuzla. Femmes et enfants y sont

vivants; seront étouffés

par votre pas sans repos votre fils de six ans,

une jeune femme enceinte de vingt ans, du village d’Osmaca, une femme âgée

et la fille de Senaid Siljković, qui avait sept ans. Aucun mal :

vous étiez seulement comme folle.

 
 

Vos hommes en rade dans la montagne, sans connaissance

vous resterez, eux chassés

au hasard, comme si votre enfant à mourir jouait

à un first-person shooter

(où cinq mille tournent bras en l’air).

 
 

Étudiante, vous semez

des morceaux de photo de vous en lambeaux sur la route,

blancs cailloux pour le retour de votre frère

 
 

que tire la Tzigane noir sur blanc.

Personne ne vous fera plus aucun mal,

tout le mal a été fait; il faut bien un retour d’homme pour épargner

un de vos cœurs, il faut bien deux membres d’une famille en vie –

qu’une lignée ne tienne qu’à un fil sur vos tabliers

passés sous les doigts de l’une à l’autre, paupières baissées.

 
 

A shot of Tarik Samarah's photo called "Amsterdam" (2004): A mother of Srebrenica outside Anne Frank's house Museum. Seen at the Srebrenica Exhibition in Sarajevo, June 2015.

A shot of Tarik Samarah’s photo called « Amsterdam » (2004): A mother of Srebrenica outside Anne Frank’s house Museum. Seen at the Srebrenica Exhibition in Sarajevo, June 2015.

et me laissent résoudre une énigme en tableaux qui croisent

des phares bleus, blancs, étoilés sur le boulevard

perron sur la baie, sirène cellulaire abandonné

des gens dorment sur les dangers d’un bateau alors que nous

sommes dans l’angle de résonance des plafonds pentus

/

une vraie famille. personne ne me laisse allumer et lire

un vrai livre. les oublis de champagne, de stylo, de balle de tennis

se perdent en mots vides identiques car d’initiale a

on m’a donné une voix qui ne porte pas jusqu’à charlo

et mon nom n’apparait pas dans les listes où il est

/

pourtant il y a quelque chose comme une appartenance

trainante, un morceau de homard dans une guédille

qui laisse le gout du bonheur à tous. je lis sur sarajevo et c’est là

que mon nerf me scie, je suis dans le mauvais voyage

mais tout résonne si bien pour une anesthésiée

/

la clé de l’énigme tourne dans le beurre

il faut verrouiller de l’intérieur, me laisser dehors

avec les moustiques et les miettes de chips libres

de tomber. le vent révèle la frime que je pigerai :

je pense, donc je suis les traces, je suis les traces.

  

ça prend une mer de monde
pour élever un enfant
et un estuaire de savoirs
pour qu’il puisse en repêcher
tous les noms

tout ça pour ça
aptement nommer
ses cellules
jusqu’à la fin

ce qui se construit de neuf
se creuse
entonnoir cerné
à lunettes

il réalise qu’il est autant la femme
que l’homme, autant
le nom de ses amis que celui
qu’il porte, autant

d’arbres en dimensions
multiples accrocs aux habits
de celles des arbres environnants
les filets s’enchevêtrent
les oiseaux veulent remonter

tout ça pour être
pas plus unique
un oiseau étouffé
tombé pas loin

le cri des cellules
est un écho
de pages graissées
par des étrangers

tout ça pour ça
cesser de driller
sa tête un instant
sortir dans l’histoire

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Photo : Street art par Roc514 dans le Vieux Montréal

Nouvelle année, nouveaux problèmes à résoudre en un tas de mouvements (plus de trois). Rien de grave : que des chiffres, pas de grands nombres. Du concret, de l’uni, des pierres retournées une à la fois.

Go.

2. En 1996, un conteneur arrimé faiblement au toit d’une Dodge Caravan blanche a lâché les amarres sur la 132 près de Cacouna et a rebondi 5 fois sur l’asphalte avant que le père de famille ne gare la van sur le côté, en descende et aille ramasser ledit conteneur en fulminant. Il attacha celui-ci à un poteau en se promettant de le ramasser à son retour, ce qu’il ne put pas faire puisque les gars de la voirie furent plus vites que lui (oui, vites l’adjectif, quins) : 32 minutes au lieu de 3 jours. L’asphalte a depuis été refaite 2 fois, dont une fois par pe beau-frère d’un de ces gars de la voirie, Gilbert Duguay. Si l’asphalte n’avait pas été arrachée puis reposée, a) qui serait Gilbert Duguay : le gars de la voirie ou son beau-frère? b) combien de fois Même aurait-elle pu passer sur cette trace pendant son aller-retour Montréal-Rimouski, en supposant qu’elle n’est pas sortie du tout de la maison lors de son séjour?

0. Le soir du 30 décembre, une famille un peu élargie fit une fondue chinoise à l’aide de bouillon Canton pour la sans-gluten, de propane et de jeux questionnaires pour réchauffer l’atmosphère. Deux cousines et une tante portaient chacune une couleur primaire sur elle. Les deux plus éloignées de la famille éloignée ont mangé deux assiettes de viande, puis elles ont fait bouillir le reste pour un sandwich ou un sauté chinois, de sorte qu’il ne restait plus de viande rouge – seulement un chandail.

1. Sous le sapin, entre les tas de cadeaux et les boutiques anglaises engluées dans la fausse neige en mousse trônait une crèche en bois, construite par l’oncle ébéniste (le même qui a construit la moitié de la maison). Dans cette crèche (ou à côté) figuraient des bonhommes démesurés, ceux de la Nativité. Tous regardaient avec amour et miséricorde un trou au centre, là où le berceau du petit n’était pas, puisqu’il était caché sous le divan quelques pieds plus loin, à la demande du jeune vénézuelien ayant habité cette maison dix ans auparavant. Cela aura pris une décennie à la famille pour arrêter de s’entêter que le petit Jésus était né avant le 25 décembre. Sachant cela, combien de Vénézueliens y a-t-il dans cette histoire?

4. Deux filles et leur mère faisaient les desserts pour le réveillon par un bel après-midi froid du 24 décembre. La mère avait retapé les recettes tachées de sa propre mère dans Word et les avait imprimées, pas toujours une par feuille. Une fille n’osait plus licher la cuillère de bois à cause du Crisco, l’autre mesurait puis échappait une bonne part de chaque ingrédient sur le sol, dont beaucoup de cacao sur la céramique blanche. Elles firent des recettes traditionnelles : dominos (aussi appelés « nanaïmos » par les gens qui n’en ont jamais vus au large), rouleaux de chocolat Baker’s et de guimauves pastel, macarons-pas-fancés (les tas à la noix de coco et au chocolat), gâteau froid aux biscuits Village et café instant. À la demande répétée d’une soeur, elles préparèrent aussi des biscuits au beurre de pinne, suivant pour ce faire la recette imprimée sur le pot de beurre léger, « parce que hein ». Considérant qu’au réveillon, le père et une amie se joindront à elles et qu’une soeur ira se coucher sans manger de dessert, a) dans quelle région du Québec habite la famille? b) pourquoi manque-t-il une soeur pour le réveillon? c) qui a installé le logiciel Word sur l’ancien ordinateur de la maison, un Pentium 486? d) combien de personnes ont gouté à l’un ou l’autre de ces fabuleux desserts de Noël ce soir-là, sachant qu’il n’y a pas eu la visite d’un voleur?

Solution :
« Toutte est dans toutte » qui est dans toutte.

Bonne fin d’année 2013 et bon début de 2014. Je vous souhaite une année de folie et de niaiseries. Trempées dans le chocolat Baker’s fondu.

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De retour à la mer et aux terres d’origine, je me sens rafraichie. Deux jours de retraite en pleine civilisation trop connue mais à redécouvrir.
Premier arrêt : moi. Je revêts d’anciennes froques et des murs d’antan, et pourtant, rien n’est là que je reconnais. Le spleen pèse léger cette fois, et j’en suis fort aise.
Jadis, et même pas tant, le vent me battait du large au long, m’envoyant toutes sortes de culpabilités, de stress, de nombrilismes en tête. Aujourd’hui, l’air s’est tu et s’est mis au soleil. Le contrôle ne me sort plus par les narines. Le vent se pointerait que je me laisserais pogner dedans, enfin.
Les deux pieds sur terre, enfin? Je n’irais pas jusque-là, j’ai déjà fait ma part de route hier. Mais ça fait du bien de ne pas être alourdie de la peur d’un passé sans relâche.
J’ai un vide en dedans, qui ne m’effraie ni m’émeut.
(Ou alors si peu. Sinon cet article ne serait.)
Si grandir n’était ni se construire ni se détruire? S’il n’y avait que ça?
Devant mon sencha plus grillé que la mer, devant le sel sur mes lèvres, devant les absences et les présences, je tape des mots qui n’ont pas à se justifier. Je m’étale devant et je vis, sûre d’être déjà moi, Aimée.
Et dire que c’est là que tout a commencé.