Archives mensuelles de février, 2011

Le Japon est sur hold dans ma vie actuelle. Je le tiens artificiellement muet, et il ne peut qu’ouvrir et fermer sa bouche de poisson en signe de mécontentement.

Ce faisant, il laisse passer le thé, un des seuls luxes que je lui accorde dans mon quotidien bouillonnant.

Les retours du Japon ne se suivent pas mais se ressemblent : chaque fois, je nie qu’il a déjà existé, que j’y ai déjà existé. Je refuse son importance et je me redéfinis comme une femme la plus occidentale qui soit.

Je vis le Japon comme un échec. Je retranche ces mois à ma vie. Je creuse un trou pour l’enfuir, puis le manque s’empare de moi. Il est liquide, inconsistant, avec des particules en suspension; bref, une tasse d’amertume. La même que je rebois chaque matin, les yeux vitreux, oublieuse de ce que j’étais il n’y a que quelques mois. Oublieuse de ce que j’étais pendant la nuit.

Oublieuse de ce que les nouveaux départs représentent : des courants qui me frappent de plein fouet, des prises d’air que je voudrais plus fréquentes, des mots dont je ne peux nier la facilité.

Parlant de mots, la carpe ne se laisse pas aussi facilement taire. Elle flashe ses couleurs même dans les eaux les plus inhospitalières. La preuve – pas encore concrète, toutefois : je travaille vers la publication d’un recueil de poèmes… et de calligraphies. De mots japonais, donc. Ou, plus exactement, de mots aux frontières du français et du japonais. De mots de l’entre, de mots du centre de moi.

Toujours des mots de salon de thé, comme dans 57,5 [ajku]. Le Japon prend bien la place que je lui laisse.

Et ça continue. On est dure ou on ne l’est pas. Voici un moment de dureté étalé spécialement pour vous.

 » Ou peut-être suis-je une Japonaise folle? Les nouvelles me rassurent : aucune grande femme brune n’a torturé ni molesté personne. Ni entraîné personne avec elle par-dessus la rambarde.

J’aimerais pourtant disparaitre, parfois. Mais avec fracas et glamour… Fondre sous les yeux des projecteurs. Être scandaleusement mince, même pour une Japonaise. Comme avant, quand j’étais belle et inaccessible.

Enfin, j’y touche, à ce Japon paradisiaque comme un magazine glacé. Vite, avant qu’il ne me glisse entre les doigts…

Le Japon m’a rendue remarquable. Il m’a prouvé, par la force des choses, que la minceur coïncidait avec la beauté. Que j’étais extraordinaire. Que j’étais forte. Que j’étais assez forte, en fait, pour n’avoir besoin – ni même envie – d’un homme. Car malheureusement, le Japon me fournissait les regards mais pas les mains. Ni même les bouches.

Mais de toute façon, qui a besoin de l’attention d’une seule personne alors que le monde entier l’adule – ou l’adulerait, du moins, s’il la rencontrait?

Cependant, j’allais de perte en perte. J’avais fait un tas de gras dans un coin de ma chambre, auquel je ne devais toucher en aucun cas. Un tas de larmes, aussi, à côté, de sorte que mon corps sec et dur craquelait au froid.

Mais qu’est-ce que perdre à côté de gagner? Un frêle squelette inutile. Une perte totale. Comme moi. Comme celle que tu ramasses d’un air victorieux. »

À suivre, ou pas.

Suite. Attention, ça brasse.

« Tous ces détours pour ne rien dire. Tous ces pas pour n’aller nulle part.

Un flash en plein milieu de la nuit. Un flash qui irradie si fort qu’il me fait mal. Et de la douleur ne peut naître que la plainte véritable. Car elle cherche à se faire entendre, cette douleur, peu importe le moyen.

Le problème, c’est qu’elle croit trop en moi. Elle se fait petite, se recroqueville dans le coin d’un muscle, pleine de confiance que je vais la remarquer, la prendre dans mes bras et nous bercer ensemble. Mais non. Le monde est là, sans aucune chaise berçante libre. Il m’offre plutôt des mouvements brusques, des sensations fortes. Une arcade assourdissante où toutes les machines m’adressent la parole, et où toutes les couleurs se précipitent dans mes pupilles immenses. J’ai deux trous noirs à la place des yeux. Rien de bien exceptionnel.

La douleur de pouvait plus endurer mon atonie. Elle m’a projetée par terre, tout d’un coup, en criant : « Gare à toi ! » Mais j’étais déjà écorchée, un tas de larmes et de sang indifférenciés. J’avais fait une chute de dix étages par-delà la rambarde de ma chambre. Et après la remontée, rien ne serait plus pareil.

La douleur aurait pu me projeter contre le mur de ma chambre, et me faire rebondir à l’infini dans son enceinte. Mais non, elle préfère le drame à la disparition. Elle ne veut pas que je sois japonaise. »

Suite bientôt.