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New York, plus tôt aujourd’hui.

C’est le calme avant la tempête. « Est-ce que ça va être comme ça dans l’oeil du cyclone? » as-tu demandé. « Pas tout à fait, » a-t-il répondu avec son stoïcisme habituel.

Il a une façon de te rassurer qui te plait bien : il expose les faits, prépare pour le pire, ne tombe pas derrière les oeillères que tu te mets habituellement.

« Un moteur qui roule sans moi / en acier dur et froid / et je cours et j’enchaine / que la chute me surprenne »

Ça, c’est la tempête qui souffle dans tes oreilles avec la voix d’Ariane. C’est ton esprit d’aventurière du dimanche qui te fait regarder droit devant en tremblant.

Vous avez fait des blagues de fin du monde. Tu n’y crois pas – tout de suite – mais tu as peur, comme toujours. Lui, il rit gentiment, et puis tu ris toi aussi.

Tu te rappelles quand tu t’es vue emportée vers la mort, la tête in and out d’un courant sans merci. Tu as lutté, tes jambes étaient pleines de bleus après. Tu en as eu la preuve après, après les pleurs.

Aujourd’hui, c’est différent. À part le vent qui secoue les arbres et les torrents de gens à l’épicerie, rien ne laisse présager une mort soudaine. Pourtant, tu y penses pendant quelques minutes.

Le calme avant la tempête… à moins que la fin ne soit pas la tempête attendue?

Au creux de toi, ce même calme, ce même oeil bienveillant qui te fait dire : « Ça se peut que je meure en fuyant. » Et qui te fait penser, à la fois froidement et chaudement, aux messages que tu laisserais à tous ces amours.

La paix.

Entre Albany et Saratoga Springs, présent

L’urgence n’est plus, la paix est toujours là.

Tu as fui juste à temps, il est en sécurité, barricadé avec ses chandelles et son caviar.

Mais tu sais très bien qu’une autre fin du monde est possible. Qu’à cela ne tienne, ton âme est prête.

Pour elle rien n’était plus beau que le blanc des os et le rien entre.
La vertu s’alignait sur son squelette vierge d’encres et de détours.
Elle avait tenté de se départir de tout, même du dé dans partir.
L’équilibre était fragile parce que l’équilibre était l’extrême.
Le moindre point sombre lancé dans l’espace la rendait muette.

C’est-à-dire qu’il la rendait sublimée, pure en comparaison.
Le mot ne s’échappait pas qui voulait de sa cage de dents.
Elle s’étendait par terre telle une page vide au comble.
Elle vivait l’extase dans la rétention de son pinceau.
Car elle était calligraphe, car elle ne l’était pas.

Écrire c’est souiller, disait-elle en le regrettant.
Et les mots tombaient, tranchants, dans l’abime.
Énorme, infecte, horrible, laide, belle, même.
Le coeur des choses ne peut pas être décrit!
(faisait-elle crier aux nuages de sa tête)

Le coeur des choses est découpé à blanc.
Son contour est noir, mais hors-champ.
Debout elle jette une ombre presque.
Des lueurs se forment à sa cornée.
Sous sa peau rien ne la retient.

Les points s’égrènent, et elle
Dans son regard seul le vide

J’essaie de pleurer, mais ce n’est pas encore le temps de le faire. Les larmes viendront forcément connecter tous ces points de souvenirs et les rassembler en un tout, en une peine retrouvée.

Pour l’instant, je n’ai au coeur que la Noël où spontanément, nos coeurs s’étaient trouvés, et où nous avons fait à l’autre un cadeau – pourquoi moi? pourquoi toi? Je n’ai jamais compris comment les pensées voyagent si bien à l’intérieur d’un réseau de quarante personnes.

Je m’étais rappelé l’anecdote que toute jeune, tu m’avais racontée et que j’avais fidèlement retranscrite pour un obscur cours – peut-être s’intitulait-il « Mémoires de nos grands-parents ». Tu m’avais expliqué ta peur de l’eau – en riant aux larmes, étrangement -, ramenant à la vie d’enfant ta soeur et ce mautadit garçon qui vous avait convaincues de monter dans sa chaloupe pour mieux vous faire peur ensuite en secouant l’embarcation. Je vous imaginais toutes deux en noir et blanc, dans des robes à crinoline tout à fait inappropriées pour la campagne, vous étreignant très fort, la bouche figée ouverte. Et le rictus de ce jeune garçon à la casquette…

Pourtant, tu riais. Comme tu étais naïve… mais cela t’avait tout de même marquée. Et tu le savais. Et tu l’acceptais, n’ayant plus été à l’eau par la suite.

J’avais recopié tout cela de mon mieux afin de te l’offrir en cadeau. Tes propres mots dits en texte, grand-maman. Pas brodés, comme toi seule savait le faire (non, maman pouvait broder son nom, aussi), mais tout de même dignes d’être sur ton mur.

Tu as ri quand tu as ouvert le cadeau. Bien sûr.

Et moi aussi, j’ai ri, quand j’ai ouvert le mien : tu avais terminé de coudre les boxeurs rose avec de gros chiens blancs que j’avais commencés chez toi, sur la machine à coudre que nous n’avions pas à la maison, avec tes précieux conseils. (J’avais tout de même passé mon cours d’économie familiale malgré le peu de coutures effectuées, on ne sait comment.)

Grâce à toi, j’avais les plus laids boxeurs du monde, mais ce n’est pas de ta faute : c’est la coupe qui était ainsi faite.

Par je ne sais quel bonheur, nous nous étions souvenu l’une et l’autre des moments passés entre nous.

Nous nous sommes souvenu des rires. Et nous nous en souviendrons, ne t’inquiète pas.

La dernière fois que je t’ai vue, tu riais encore. D’une couche qui trainait sur le bord de la fenêtre, puis du fait de revoir un neveu pas vu depuis longtemps. Tu l’as reconnu, et ça m’a fait chaud au coeur.

Même si j’ai les larmes aux yeux, j’ai envie de rire. Merci, grand-maman.