sur la commode une pile de temps acheté
en forme de mains craquantes
un sel et un sucre un baume
de chocolat sur les plaies de lit

les soirs de monadnocks tombent
stalagtites dans les paumes crispées
et la nuit des livres ne s’impriment pas
ailleurs que sur nos visages pâles

étourdis sans sommeil nous colorions
un peu à côté des mots, des chiffres
et des commentaires bourrés
à qui la faute, à quoi?

lorsque nos mains lâcheront les clés en un bruit
sourds aux apostrophes nous serons
incis entre deux couvertures
les doigts tachés de temps.

Tintin et ses yeux échos et ses trois centimètres qui tiennent tout seuls

danse. Vous n’avez jamais vu Tintin danser

mais Radio Radio, Loco Locass, un pied à côté de l’autre

le vin déporte. Surtout en grande quantité

mais toujours à l’intérieur d’une bouteille, les autres verres

se choquent. Pas Tintin, toujours égal à lui-même, toujours trop

à l’aise, Bob Sinclar Mylène Farmer, les bonnes années Unity et Sky,

quand les Moldaves se réunissaient sur le toit – j’espère

que les miladies et chevreuils de ce monde verront dans le pied droit

la course, le prolongement de l’aventure dans une

chanson. Car si les couettes tiennent à la mousse, les mots

tiennent sur des lignes, minces traces laissées longue-vue sur l’oeil.

dormir à l’envers du lit, la tête aux pieds, sans défaire les draps, une bande rouge comme ciel mais invisible

l’oeil nu s’éclate. une griffe, une dent, un jeu. le chat ne me croit pas

et il a bien raison. je palpe des livres de flanellette mauve comme un enfant analphabète, la bouche en

bave, l’horreur. le mou s’accommode bien du mou. mes yeux sont mous, le noir est mou, le vent

est noir. je pixellise des obligations, en ris. le chat s’assoit perplexe, je ris,

la tête dans un sac de couvertes. il fait trop de degrés pour que je croie à mon hibernation, de toute

façon le vent m’apporte une odeur de céréales. chaudes,

noires. longues.

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J’ai une bosse de bison.
Une colonne de dinosaure plié, une vertèbre crapoteuse.
La pose et moi, nous faisons deux.
J’ai la toison brune qui me reboucle dans les yeux, le grain de blé dans l’oeil, la baboune avachie.
J’ai la peau fendante, la tête à angle bas, les griffes qui pognent dans le clavier –
j’exulte dans ce détail qui fuit, ce point trop tiré du i.
J’ai les sabots qui se cognent ensemble dans l’air et ça n’est pas visible.
J’ai la queue à pics qui virevolte dans la cuisine et seul le prélart craque.
J’ai le corps qui se déploie en plus d’une image seconde –
je suis mobile.
Chaque encyclopédie ne porte plus vraiment ma photo; je disparais vite
et laisse plus d’une trace.
Alors je veux qu’on se souvienne de moi comme des points à relier,
une Haute-Gaspésie en deltaplane lourd.

Ben oui. Mon sketchbook pour le Sketchbook Project s’est égaré dans la malle, probablement près des douanes américaines. Évidemment je n’avais pas gardé de traces de toutes les pages. Voici de quoi il avait l’air de son vivant.

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Pour Émilie

Pour Bertrand

Pour Laurence-Aurélie

Pour Bertrand 2

Pour melle Thé

All these things we lose…

quelque part un poing sous l’omoplate tu échafaudes des noeuds des théories destructivistes
les respirs en branle les combats sous l’aileron les gélules en petits paquets de toi
avalés
tu touches du doigt le spasme tu le serres non c’est le spasme qui t’agrippe ne résiste pas
fais-toi dire des phrases trop longues camoufle les pauses sur ta corde les endroits à mâcher
déglutis
quelque part mais pas couchée surtout pas en mouvement vers le coucher les serres du rêve
autour de ton cou tu grapilles les vêtements que tu peux le port que tu peux tu l’atteins
intègre
la descente en rappel cet acte manqué déchirure du tendon cuir qui t’est cher laisse les bras
tomber. ne revole pas, n’éclate surtout pas, tiens-toi en un seul morceau. une seule dimension
comprise
les rires ne te blessent pas ce sont des beignes qui rebondissent des vertèbres lousses de la molle-mère
mais le clou qui glissera de l’échafaud tu le connais d’avance tu le figes en place il sursaute
rasséréné.

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Quand mes étudiants écrivent, j’écris aussi. Moments de poésie durs à croire s’entrecroisent dans une salle
grise comme fer, aux sommeils rideaux et aux écrans tirés jusqu’en bas – nous traçons le familier, faisant comme si nous ne voyions que lui.

Je pose ici mon calligramme d’aujourd’hui. Le sonnet de la semaine dernière (sera terminé et) viendra s’y ajouter.

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1. le patriotisme ordinaire

marteler de la gauchetière des deux sciatiques
ô canada
pas assez fashionable mais trop late
terre de nos aïeux
kazhaks, etc., 64 pays non nommés dans les deux langues
ton front est ceint
comme dans ceinture bien sûr avais-tu déjà vu ce mot

sauras-tu expirer sans qu’on te reproche d’imiter
moi je n’expire même pas
de fleurons glorieux
car ton bras posera la feuille là, tout juste entre le coeur
et la tête
ton corps droit sait porter l’épée
mieux qu’un quelconque bénévole adulé gauchement

dans deux jours tes oreilles ouvrables
la litanie des femmes seules
te concernera, ô travailleur
we stand on guard
dans le malaise des jambes droites
combien de citoyens expireront
sur ce tapis
en fioritures?

2. le régime ordinaire

douze visages nommés dans cinq langues
pays laissés aux maris, etc.
nos fronts d’argile nos rêves fashion
nos tissus dégringolants
bien sûr on pouvait toutes transmettre ce qu’on ne voulait pas

saurai-je sécher mon sourire
riquissimo
vos aloès rouges-gorges
vos odeurs de croix
je ne chanterai pas sur le trottoir cette fois
j’applaudirai
comme si vos vies en dépendaient

la litanie des femmes se trouve ici
possibilité d’être partout heureuse mais en femme
ô canada
de shake à tout prendre
terre des aïeux sur les joues à deux doigts
terre de livres à perdre

la main sur le livre saint jurer
pas comme dans juron bien sûr vous aviez compris

Ces retours de la joie, ces rafraîchissements à la mémoire des objets de sensation, voilà exactement ce que j’appelle raisons de vivre.
Francis Ponge, “Raisons de vivre heureux”, Proêmes

Emmagasiner des instants, s’emplir les bajoues de rosettes de crémage, les yeux dans le vide comme posés sur un voile présent. À partir des miettes vanille et de la crème choco se rebâtir un cupcake frais à l’intérieur, moment magique sous cloche, gout de rêve sous verre de contact avec la réalité.

Et là (Hélas?) l’imagination est une pouliche au visage moins humain avant, semble-t-il, plus chevalin, et l’arc-en-ciel sur son cul faisait moins Ed Hardy —

La vie sous zéro; la vie dans trente degrés. Le ventre est un fourneau qui fait gonfler et dorer tout ce que l’on y fourre. La langue gourde, les paupières lourdes, on engrange néanmoins, pour plus tard lorsque la vieillesse sera bonne et les jours veilleurs.

Vivre, longtemps après, pour l’odeur de plastique frais de sa collection d’effaces. Vivre, bien plus tard, pour le grincement du panneau à spiritueux où la pouliche principale discourait. Vivre, plus tard encore, pour les quatre spots de crémage brun laissés en hommage dans le fond de celle-qui-aurait-pu-être-ton-assiette, grand-maman. Vivre, trop tard j’imagine, pour la sensation d’exister dans un espace.

Là où on s’est senti exister un trop court instant, puis couler dans le verre du souvenir, déjà.

Ne jamais anesthésier la chaleur de son ventre, bruler par en-dedans et fabriquer des cupcakes passés, peut-être que les vagues de chaleur feront fondre le voile de glace sur les yeux, sur les croupes irisées des poneys, sur toutes les parties du corps gardées trop au frais – il fait seulement vingt degrés aujourd’hui, semble-t-il.

ça prend une mer de monde
pour élever un enfant
et un estuaire de savoirs
pour qu’il puisse en repêcher
tous les noms

tout ça pour ça
aptement nommer
ses cellules
jusqu’à la fin

ce qui se construit de neuf
se creuse
entonnoir cerné
à lunettes

il réalise qu’il est autant la femme
que l’homme, autant
le nom de ses amis que celui
qu’il porte, autant

d’arbres en dimensions
multiples accrocs aux habits
de celles des arbres environnants
les filets s’enchevêtrent
les oiseaux veulent remonter

tout ça pour être
pas plus unique
un oiseau étouffé
tombé pas loin

le cri des cellules
est un écho
de pages graissées
par des étrangers

tout ça pour ça
cesser de driller
sa tête un instant
sortir dans l’histoire

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Photo : Street art par Roc514 dans le Vieux Montréal