Entre haïr et adorer, il n’y a parfois qu’un pas – que dis-je, la largeur d’un pas. À moins qu’il n’y ait la largeur d’une seconde?
Ou encore sa largesse?
Tomas Tranströmer disait se trouver dans « [u]n espace de temps / de quelques minutes de long / de cinquante-huit ans de large » (« Journal de nuit », dans Funeste Gondole, 1996). Plutôt qu’un bassin je me plais à imaginer un puits profond de toutes nos expériences – nous creusons notre vie à coup de dents – et large comme l’instant. Ainsi je bascule la lucidité de Tranströmer et préfère m’emprisonner dans une série de puits du fond desquels la surface n’est peut-être qu’un mirage.
J’exagère. La surface est là, presque tangible puisque je grandis un peu chaque jour – ou encore je refuse de creuser.
De toute façon la hauteur m’a toujours plus plu que la largeur ou la longueur. Ou la langueur, même.
Je divague. Et l’espace est court entre deux puits où poser le pied. Les lignes sont parfois même courbes, les surfaces glissantes. Et si ces instants de lucidité, à tendance optimiste ou pessimiste, étaient ronds, et non anguleux?
Il me semble que je serais bien, au centre d’un cercle aux dimensions du moment. Une bulle confortable où me reposer de toutes ces années passées et à venir, bien calée dans un instant équidistant de tout.
J’ai seulement peur que le recul me rende déséquilibrée. Que je perde le bord.
Que je bascule dans le réel, où rien n’est parfaitement rond ni carré. Où la longueur et la hauteur sont toutes relatives.
Aussi relatives que la lucidité.
Le déséquilibre est une si belle chose… sans lui, on ne pourrait ni marcher, ni avancer (ni reculer, d’ailleurs) :))
Et tout équilibre ne dure qu’un instant…